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"Dans mon esprit, il y eut alors une jonction immédiate entre cette
interrogation finale et les découvertes que je faisais avec l'instinctonutrition : les
théories de Burger (NDBlougou : un nom pas prédestiné) sur l'alimentation originelle ne
correspondent-elles pas à au mythe de l'Eden? Or mes personnages partaient sur une
planète appelée Edena! La jonction se faisait d'une manière presque miraculeuse." Cela
a été extraordinaire. Je suis donc resté un mois au Japon et j'ai réussi à dessiner
une planche par jour. Vingt-cinq pages ont été faites de la sorte, dans ce grand hôtel
japonais où, d'une certaine façon, j'ai exprimé à travers l'aventure des deux héros
les problèmes que pose le conditionnement d'une nutrition artificielle en cas de
nécessité de survie dans un milieu naturel. Toutes les peurs qui resurgissent, tous les
obstacles qui se dressent devant une redécouverte des fonctions naturelles à une
alimentation naturelle : la remise en place des fonctionnements, la disparition des
schémas mentaux remplacés par d'autres, etc.
Évidemment, tout cela est très idéalisé dans l'histoire car, dans la réalité, les
choses ne se passeraient pas de façon aussi facile et les barrières mentales sont
parfois indestructibles. Mais j'ai pris comme personnages centraux des êtres
perfectibles, des héros, des êtres capables de changer. Ma projection personnelle du
héros n'est pas l'être parfait mais l'être qui se perfectionne."
"Il y a des éléments de l'histoire dont j'ai la clé et d'autres dont je n'ai
pas encore l'explication. Il y a des choses quej'ai dessinées dans cette histoire dont je
découvrirai l'importance dans les mois, les années à venir. Ainsi, le rêve de Stel
s'éclaircira dans le prochain volume. Le projet est appelé à se modifier en fonction de
mon évolution. Je me suis programmé des développements qui dépassent mes possibilités
actuelles, et c'est très intéressant, car si je veux aller jusqu'au bout de cette
histoire, il faudra que je me dépasse moi-même, que je travaille et que je
grandisse."
"Cette situation a pour conséquence de créer un paysage esthétique de plus en
plus dégradé, affaiblissant le réservoir référentiel de l'être humain, amenant une
distorsion inconsciente du concept même de beauté et, par là même, viciant et
contaminant les concepts corollaires de bonté et de vérité..."
"Parmi les innombrables conséquences néfastes pour l'homme et l'écosystème qui
l'entoure, j'en distingue deux qui me touchent : celui concernant l'alimentation sur les
trois niveaux physique, mental, spirituel..."
"Physique car les méthodes industrielles ont dégradé notre alimentation à un
point alarmant. D'autre part, les progrès technologiques de la médecine ont masqué la
progression du mal; mais cette course insensée est proche de son point de
saturation."
"Au niveau mental, les idéologies et les concepts matérialistes et analytiques
de décryptage de l'univers ont occulté le principe fondamental de fraternité humaine.
Le gouffre entre le discours et la réalité subtile et complexe est arrivé, lui aussi,
à un point de tension extrême qui met en danger la survie même de la planète."
"Au niveau spirituel, les systèmes religieux de relais se sont enlisés, soit
dans des représentations figées, ritualistes et à la limite de la superstition, soit
dans une tentative démagogique de concurrencer le social et le politique, perdant ainsi
de vue le but essentiel qui consiste à assurer la liaison Terre-Ciel à travers un
système spirituel évolutif mais ouvert à la flamme de la révélation."
"Le seul aspect positif est que cette situation générale de dégénérescence et
de danger oblige le chercheur à un intense travail de remise en cause, de recherche et de
foi."
À travers l'instinctothérapie, qui élimine les artifices transformant la nourriture
et prône un retour intégral aux aliments naturels afin de remettre en fonction un
instinct alimentaire extrêmement précis, c'est l'équilibre vital de l'homme que Moebius
recontacte. Burger appelle aliment originel une nourriture qui n'a subi ni dénaturation
mécanique (mélange, assaisonnement, superposition, broyage, mixage, etc.), ni
dénaturation thermique (cuissons diverses, congélation, surgélation, irradiation,
etc.), ni sélection artificielle (certaines techniques de culture ou d'élevage), ni
dénaturation chimique (engrais, pesticides, etc.), ni transformation par l'usage du lait
et de ses dérivés. Il en résulte que les instinctos mangent de tous les aliments
originels mais crus et sans assaisonnement ni mélange, pour autant qu'ils apparaissent
attirants, selon la règle de l'instinct alimentaire que l'expérience a montré, d'après
Burger, s'exprimer principalement par l'odorat et le goût. L'instincto peut manger autant
qu'il veut d'un aliment sans avoir à craindre de problème, pour peu qu'il soit vigilant
au changement de goût et respecte l'arrêt instinctif qui lui est lié.
Moebius ne peut qu'être séduit par la loi du plaisir dégagé des artifices. Il en
appelle donc a une " nutrition du futur qui soit une redécouverte de l'originel. Une
table instincts est un signe de liberté, de beauté et de plaisir". Et il rajoute
volontiers : "À mon avis, toute cuisine est névrotique. Ainsi d'ailleurs que toute
culture - le problème que cela pose laisse pantois.
"Je pense que nous utilisons nos aliments pour masquer ou compenser nos problèmes
émotionnels et, qu'en retour, ces mêmes aliments ont des effets à tous les niveaux de
comportement, y compris bien sûr la sexualité. Dans LES JARDINS, Stel et Atan
représentent un cas extrême : ils sont sous l'emprise d'une intoxication extrêmement
sophistiquée et élaborée (mais c'est la direction radicale que prend la médecine
moderne), et le simple changement d'alimentation a des effets spectaculaires qui
rejaillissent sur l'aspect le plus déprimé, qui est bien sûr celui de la sexualité.
Leur transformation ne s'arrêtera pas là, d'autres surprises les attendent, d'autres
découvertes, d'autres aventures".
Au-delà d'une recherche d'une alimentation naturelle, c'est la quête de l'être
originel et la connection de l'être avec l'infini qui est posée. La quête de Stel et
d'Atan s'identifie à celle de l'état originel adamique. Moebius donne à voir sa vision
personnelle du monde. Il n'explique pas, il montre, et il montre avec ironie. Cette vision
n'est pas exclusive d'autres perspectives, elle ne résoud pas les problèmes, elle les
pose en énigmes que chacun entendra à son degré. En développant son univers, Moebius
ouvre de nouveaux espaces de rêve. Quand il en parle, il ne fait jamais que renvoyer à
l'imaginaire de chacun. (
) "chacun a sa vision du monde, l'essentiel, ici, à
mon avis, est de se donner les moyens de l'exprimer." |